Chapitre 4

– Alcydia?

– Oui?

Nous sommes à table autour d’un repas que j’ai laborieusement préparé en compagnie d’Atalane. Elle est bonne cuisinière mais on ne peut pas dire que ce soit mon cas.

Cela fait une semaine que j’ai discuté avec Maïli, Atalane et Farès. L’ambiance, au manoir, est moins tendue et je me suis remise à parler comme par miracle. Je n’ai toujours aucun souvenir, à peine quelques impressions floues, réminiscences de sentiments passés et perdus. J’essaye toutefois de lier une relation avec Maïli ; elle m’apprends à coudre et je suis plus douée dans cet art que pour la cuisine. Elle m’a demandé, une ou deux fois, de lui chanter des chansons. Je n’en connais aucune, ce qui a rendu l’exercice assez complexe.

C’est sur le chant qu’Atalane oriente d’ailleurs la conversation.

– Nous avons reçu un message de la Guilde des Saltimbanques, hier.

– Ah oui?

J’ai beau savoir que j’en ai fait partie, je ne me sens aucunement liée à cette guilde, la plus prestigieuse de l’Empire.

– Ils veulent… Que tu reviennes.

Etonnée, je lève la tête de mon assiette:

– Mais… Je croyais que Tasha s’était arrangée pour qu’on n’entende pas reparler de moi?

Ce fut Farès qui me répondit:

– On ne peut empêcher les gens d’en entendre parler. Les gardes, les conseillers… Même en faisant attention, nombreux sont ceux qui ont ouït dire de ta libération. Tasha l’aura étouffée le plus longtemps possible, mais la Guilde est l’une des premières à avoir été au courant. A vrai dire, depuis plus d’un mois, cela fait plusieurs fois qu’ils nous contactent. Mais avant, tu n’étais pas prête à… en discuter.

Je pouffe devant l’euphémisme ; depuis une semaine, mon moral a des hauts et des bas et il m’arrive régulièrement de rire bêtement.

– Et pourquoi veulent-ils mon retour?

– Ils s’imaginent que tu es toujours la chanteuse que tu as été.

– Vous ne leur avez pas dit que je ne me souvenais de rien?

Farès et Atalane échangent un regard que je ne parviens pas à décrypter.

– Si. Mais ils ne nous croient pas.

– Et, euh… Enfin… Je serais censée faire… quoi?

– Reprendre les cours de chant, les représentations publiques, parrainer les apprentis… Tu es une figure importante, une figure de Cour. La Guilde s’enlise, elle a trop prit part à la politique, a trop joué avec le feu. Elle s’est discréditée et certains de ses adeptes ont coupé les liens. Parmi eux, une minorité donne des cours de chant ou de musique. Les nobles leurs confient maintenant leurs enfants talentueux, plutôt qu’à une guilde dont ils craignent qu’elle ne s’en serve à des fins brumeuses. Ton nom, ton retour, ta libération font parler. On entend citer dans les tavernes tes plus beaux chants, tes plus belles œuvres. Tu as composé quelques chant, tu sais, et il est très dur de les chanter comme tu les chantais. Ils veulent se servir de toi, pour retrouver des mécènes, notamment.

– Je… Je ne suis pas sûre d’y tenir.

– C’est bien ce que je me disais.

Le ton de Farès est sans appel, comme une conclusion incontestable qui met fin à tout débat. Atalane, elle, ne semble pas vraiment d’accord.

– On ne va peut-être pas écarter tout de suite cette possibilité. Alcydia doit…

– Alcydia doit surtout se reposer, rester au calme. Cela fait à peine un mois qu’elle est libre, elle…

– Elle doit aller de l’avant, refaire sa vie, être heureuse. Elle ne peut pas vivre ici, dans sa bulle, indéfiniment!

– Dites, pourriez-vous cesser de parler de moi comme si j’étais absente?

Mon intervention coupe net leur échange et refait place au silence pesant qui nous devient par trop familier. C’est Maïli qui, à nouveau, le brise.

– Peut-être que… Qu’Alcydia pourrait en parler avec eux? Je veux dire, on ne peut pas savoir ce qu’ils veulent vraiment tant qu’on ne leur a pas demandé. Et puis, peut-être qu’ils voudront bien croire son amnésie s’ils la voient eux-mêmes…

Atalane et Farès échangent un regard inquiet mais résigné, puis Atalane interroge :

–          Tu le crois vraiment ?

Maïli opine du chef, et la discussion est close.

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