Avenir

Je me dépêche de taper ces derniers mots, pendant qu’au dehors c’est une pluie d’obus qui s’abat sur la ville. Je dois finir mes mémoires, les envoyer sur le réseau avant qu’il ne soit trop tard.

Notre génération savait, bien avant la Troisième Guerre, qu’elle allait souffrir du passé de l’humanité. Nos ancêtres n’avaient vécu que pour l’excès : excès d’argent, excès de ressources, excès de politique. Nos parents, déjà, avaient senti le changement ; tant de promesses non tenues, de désillusions, de présages d’un sombre avenir.

Lorsque nous avions été en âge de comprendre la marche du monde, les pays se livraient à une guerre froide dont tout le monde parlait sans réagir. La planète était mourante, mais elle non plus ne suscitait aucun émoi parmi les humains. Même à une dimension plus réduite, rien ne nous permettait d’espérer une amélioration. De toute manière, bien rares était ceux qui y croyaient.

Technologiquement parlant, quoi qu’on puisse nous dire, nous avions compris que rien de majeur ne se révélerait. En tout cas, pas à temps pour sauver notre peau.

C’étaient les réseaux de toutes sortes qui nous permettaient de ne pas nous laisser abattre par cette obscurité à venir. Nous nous absorbions – ou étions absorbés – dans internet, matraquions Facebook de photos et de considérations bassement matérielles. Nous jouions à World of Warcraft, à Guild Wars, nous plongeant entièrement dans leurs univers virtuels, tellement préférables à l’ici et maintenant dans lequel nous étions contraints d’évoluer.

Comme pour toute évolution de la société, tous les arts étaient touchés. Dans la littérature, la fantasy et la science-fiction prenaient leur essor, offrant à chacun l’espoir d’un avenir brillant ou le regret d’un passé légendaire. La musique révélait ses instincts les plus sombres, les plus extrêmes, qu’ils appartiennent au mouvement du métal, du rap, ou d’autres. La peinture devenait plus confidentielle, remplacée par un cinéma qui regorgeait désormais de scénarios catastrophe et de slasher-movies, effusions de sang et de larmes que chacun pressentait.

De même, les tabloïds se multipliaient : on ne devait pas penser à soi-même, à ce qui nous arrivait, à la pitié qu’inspirait notre race, notre engeance, l’humanité tout entière. Mieux valait médire sur les Autres, forcément plus importants, ces pop-stars et people qui fournissaient assez de matière pour polluer chaque jour un peu plus la planète bleue.

Je me suis longtemps demandé qui des deux mourrait avant l’autre : la Terre ou l’Humanité. Finalement, en nous entre-tuant, nous avons aussi achevé notre berceau. Ce virus, créé par je ne sais qui, touche tous les êtres vivants : humains, animaux, végétaux. Avant que tout ne finisse, nos dirigeants ont donc décidé de faire joujou. Tant de temps qu’ils rêvaient d’essayer ces nouvelles armes…

Je vais bientôt mourir et je ne vois pas quoi dire de plus. A part peut-être : honte à nous. Honte à nous, qui, même dans les moments les plus noirs, n’avons su faire un geste. Honte à nous, et bienvenue à toi, Mort. Voilà bien longtemps que je t’attendais, mon amie.

7 commentaires sur “Avenir

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  2. CADET dit :

    Quel texte étonnant ! surtout de la part de quelqu’un de si jeune ..J’aime beaucoup ce contenu, il est révélateur d’une grande profondeur dans l’analyse du monde, des humains. Je suis vraiment et sincèrement admirative. Surtout ne laissez pas tomber.

    • Alice dit :

      Merci beaucoup.

      J’essaye de ne pas me laisser submerger par le pessimisme, mais lorsque cela arrive, je m’arrange pour être productive!

  3. Barbara dit :

    Cette apocalypse nous inspirerait-elle ? J’ai bien aimé ce texte, merci Alice

    • Alice dit :

      Merci beaucoup. Ceci dit rien à voir avec l’apocalypse de 2012, ce texte date de quelques années déjà! 🙂

  4. CADET dit :

    Où puis-je lire « les arimastes »? Merci . J’ai mis un mot sur Facebook

    • Alice dit :

      Cette nouvelle n’est pas disponible sur le blog. Sachant que je compte l’éditer, je ne la laisse pas en lecture libre.

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